Le rire du grand blessé – Cécile Coulon

105851976_oEt si pour mieux maîtriser une société, on recherchait des analphabètes ? Cécile Coulon propose dans son roman « Le rire du grand blessé » une parabole du totalitarisme sans mémoire. Prêt à vous plonger dans un univers où le maître est le mot ?

L’agent 1075 est un excellent élément. Ce n’est pas qu’il n’apprécie pas sa famille mais ici, il semble plus libre. Sa compétence première pour le recrutement fut son incapacité à lecture. Pour être un bon militaire, il est important d’être analphabète. Puis c’est un combattant avec de très bonne disposition physique. D’ailleurs, il l’a démontré lors de la sélection.

Il a intégré le Service National et brille par son sérieux. Il ne perd jamais son sang-froid lors des Manifestations à Haut Risque durant lesquelles des Liseurs ensorcellent par leur voie un public qui perd ces moyens selon ce sont des Livres Frissons, Fous rires, Haine ou Tendresse. Les histoires sont écrites pour mieux maîtriser les gens et le mot littérature disparaît du langage d’ailleurs. C’est un mot dangereux.

C’est au cours d’un de ces manifestations que 1075 va se faire gravement blessé par un molosse. Il va être envoyé à l’hôpital. Pour tromper son ennui, il va faire de la rééducation tout seul dans les couloirs. C’est alors qu’en cachette, il écoute une femme apprendre l’alphabet à des jeunes enfants. Il a été piqué par la curiosité et lui aussi il veut savoir lire. Mais attention, il ne veut pas savoir lire pour être ces lecteurs qui perdent leur moyen. Il sera spécial, il sera un agent lisant et cela sera son secret. C’est avec application qu’il va s’exercer et être en capacité de lire. Le plus difficile c’est de cacher des histoires chez lui car c’est totalement interdit. La surveillance est rude puisqu’il y a des caméras partout sauf dans les toilettes. A la place, il y a des contrôles par des hommes que rien ne soit caché nulle part. Heureusement qu’il est plus malin que la moyenne car il trouve des petits endroits.

Il sait lire mais les livres ne lui procure aucune émotion alors c’est un atout bien limite. Jusqu’au jour où il va rencontrer une femme de caractère qui va lui montrer que les choses peuvent être plus riches qu’il ne semble. Alors sous quelques subterfuges, elle va lui envoyer des textes qui vont le toucher et que le pousseront même à pleurer.

Un univers qui rappelle 1984 et Farenheit 451, Cécile Coulon tape fort avec son roman. Quand j’ai fermé le livre, j’avais l’impression d’avoir pris un coup de poing littéraire en pleine poire. L’histoire racontée en résumé ne paraît pas tellement extraordinaire mais le pouvoir des mots prend tout son sens dans l’histoire. Apprendre à gérer des foules en maîtrisant les écrits et ainsi réduire les actes d’agression et par la même occasion de réflexion. L’absence d’écrit mais aussi le fait de ne pas conserver la mémoire. Apprendre à lire, à créer, c’est aussi apprendre à penser. Comment bien régir tranquillement une société si on n’arrive pas à maîtriser ces habitants ? L’asservir avec les mots d’un côté et de l’autre la présence militaire avec des analphabètes, ravie de quitter leur cambrousse.

Impossible de lâcher ce petit livre avant de l’avoir terminée. Il faut que je lise d’autres romans de Cécile Coulon car son écriture est légère, touchante et impactante. Il y a le second effet kiss cool. Gentil au début et percutant à la fin. Voilà à une auteure qui n’a pas que les mots à la bouche, elle a aussi au bout de son crayon.

Un petit livre qui risque de ne pas vous laisser indifférent. Comme quoi, ce n’est pas la taille qui compte.

Merci à toutes les copinautes qui m’ont offert ce livre
L’avis de Camille : « Ce texte est effrayant tant il touche à l’actualité: le savoir c’est le pouvoir. Détruire le savoir, c’est s’octroyer le pouvoir. Ici, ce sont les livres qui véhiculent le savoir. Ailleurs c’était des statuts, des antiquités (Palmyre CQFD). Le règne par la peur est l’apanage de tout homme frustré, le véritable danger c’est lui, ce ne sont ni les livres, ni les statuts, ni un peuple, ni…ni… Une belle déclaration d’amour aux mots, aux livres et à l’éducation. »

L’avis de Mo :  « J’ai été fascinée par l’univers, fascinée par cette écriture si fluide, par la facilité avec laquelle les éléments s’emboîtent pour former un tout cohérent, par ce ton détaché qui nous accompagne durant la lecture, ce ton si dur qui nous fait pourtant nous coller au personnage. J’étais avide de savoir la suite, de connaître son parcours, de m’installer toujours plus encore dans cette société régie et dirigée par le livre, par les mots, la manière dont ils sont employés pour diriger la pensée collective, soigner les maux, prévenir les déviances.« 

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